Publié le 30 avril 2024
Categories: Evénements

Introduction

Le 1er mai 2024 : journée de l’agriculture et du travail. En Haïti, ce jour semble quelque peu paradoxal, alors que l’économie est au point mort et que la grande majorité de la population est au chômage (14,4% du taux de chômage selon OIT). L’agriculture, quant à elle, est négligée, affectée à la fois par le manque de politiques publiques visant à redresser le secteur agricole et par l’insécurité physique qui entrave les chaînes d’approvisionnement, empêchant la libre circulation des denrées vers les grands centres de consommation urbaine, en particulier la zone métropolitaine assiégée par les gangs armés qui y sèment la terreur et y rançonnent en toute impunité. L’agriculture, qui était déjà confrontée à des problèmes structurels tels que des rendements faibles, un manque de financement, un manque d’infrastructures agricoles (canaux d’irrigation, barrages, pistes agricoles), un manque de transformation des produits agricoles et une recherche et développement presque inexistante, se détériore un peu plus chaque jour, aggravée par les politiques commerciales favorisant l’importation et par la conjoncture actuelle d’instabilité politique. Cependant, une lueur d’espoir émane des agriculteurs du Nord-est avec leur mouvement KPK (Kanal Pap Kanpe), initié par les agriculteurs de la commune de Ferrier, un symbole de résistance nationale soutenu et financé par les membres de la société civile et la diaspora. Ce mouvement a déjà achevé le canal de la rivière Massacre, qui irriguera la plaine de Maribahoux avec ses 24 000 hectares de terres produisant du riz, des pois d’Angole, des haricots, du maïs, des banane

L’impact de l’insécurité sur l’agriculture

Les conséquences de l’effondrement de l’État et des violences perpétrées par des gangs armés sont multiples. Pour les comprendre, il est nécessaire de considérer l’agriculture comme une filière, c’est-à-dire depuis le champ jusqu’à l’assiette du consommateur. En prenant en compte que les zones urbaines sont les principaux débouchés pour les produits agricoles, via des « saras » qui s’approvisionnent au niveau des marchés ruraux pour les revendre dans les zones urbaines, où il existe des marchés où les consommateurs viennent s’approvisionner directement ainsi que des détaillants. Il se trouve que la plupart de ces marchés sont contrôlés par des gangs armés, prenant pour exemple le marché de la Croix-des-Bossales, les marchés de la tête de bœuf, le marché Hyppolite, le marché de Mariani, le marché de la Croix-des-Bouquets, pour n’en citer que quelques-uns, dans lesquels ces individus rançonnent les « saras » et détaillants qui y vendent, ainsi que d’autres commerçants. Pire encore, souvent les grandes artères (routes nationales #1, #2, #3) qui alimentent la zone métropolitaine sont bloquées, soit par des affrontements féroces avec les forces de l’ordre, soit par des affrontements entre gangs rivaux. Étant donné que la plupart des produits sont périssables, les pertes occasionnées par ces méfaits sont colossales et impactent fortement les revenus des acteurs (agriculteurs, « saras », détaillants), dont les produits se gâtent sur les routes ou sont écoulés à des prix extrêmement bas, voire volés. Il arrive même que des camions soient enlevés et que les passagers soient séquestrés et libérés moyennant rançon, ou que des commerçants trouvent la mort dans des tirs croisés.

Le Blocage du Grenier à Riz

Il est essentiel de discuter de l’insécurité sans passer sous silence la situation précaire dans la zone de l’Artibonite. Cette région, avec ses 28 000 hectares de terres irriguées, est confrontée depuis plusieurs années à une guerre meurtrière entre plusieurs groupes rivaux. Cette violence affecte profondément les paysans qui sont incapables de cultiver leurs terres en toute tranquillité. De plus, de nombreux habitants se retrouvent déplacés, fuyant la terreur des bandits armés vers d’autres communes.

La situation est d’autant plus critique du fait que les organismes gouvernementaux de soutien aux agriculteurs, tels que l’ODVA par exemple, sont dysfonctionnels. Les projets sont souvent clôturés prématurément ou fonctionnent de manière intermittente, laissant les agriculteurs de la région sans ressources ni soutien face à la violence persistante.

L’espoir du Nord

L’année 2023 a été marquée par un vaste mouvement d’agriculteurs dans le département du Nord-est, plus précisément dans la plaine de Maribahoux d’une superficie de 24 000 hectares, aux communes de Ferrier et d’Ouanaminthe, connu sous le nom de KPK (Kanal la Pap Kanpe). Ce mouvement visait à créer un canal d’irrigation à partir de la rivière Massacre, située à la frontière haïtiano-dominicaine. La République dominicaine revendique l’exploitation exclusive de cette rivière, possédant déjà onze canaux d’irrigation construits, et refuse à l’État haïtien de bénéficier de cette ressource hydrique, bien qu’elle traverse également le territoire haïtien avec des affluents directs.

Initié par les agriculteurs de la commune de Ferrier, située dans le Haut-Maribahoux, ce mouvement a ensuite reçu le soutien de tout le pays ainsi que de la diaspora haïtienne. Les gardes environnementaux de la BSAP ont réussi à résister à l’intense pression de la République dominicaine et à achever le canal en 2024, tout en réalisant les premiers essais d’irrigation pour répondre aux besoins en eau et permettre aux agriculteurs de cultiver du riz, des haricots, du maïs, etc.

Il est important de souligner que les agriculteurs ont remporté une bataille, mais que la guerre pour le développement agricole du département du Nord-est est loin d’être terminée. Plusieurs problèmes majeurs doivent être résolus, notamment la gestion efficace de l’eau par les agriculteurs, la disponibilité du financement agricole et de l’assurance récolte, la gestion des ravageurs tels que l’escargot Caracol qui dévaste les rizières, l’accès à des intrants agricoles de qualité à des prix raisonnables, ainsi que la gestion de l’élevage en liberté qui cause d’importants dommages aux cultures et dont certains agriculteurs se plaignent d’avoir tout perdu, sans disposer de fonds suffisants pour cultiver lors de la prochaine saison.

Conclusion

le 1er mai 2024 est à la fois une journée de célébration de l’agriculture et du travail, mais aussi un jour de réflexion sur les défis majeurs auxquels fait face Haïti. Malgré les efforts louables de mouvements tels que le KPK dans le Nord-est, la réalité de l’agriculture haïtienne est sombre et complexe. L’insécurité généralisée, les conflits armés, et l’inefficacité des institutions gouvernementales entravent le développement du secteur agricole, privant les agriculteurs de leurs moyens de subsistance et exacerbant la crise alimentaire. La situation est d’autant plus critique dans des régions comme l’Artibonite, où la violence est endémique et où les agriculteurs sont incapables de cultiver leurs terres en paix.

Face à ces défis, il est impératif que des actions concertées soient entreprises à tous les niveaux de la société. Il est nécessaire de renforcer les institutions gouvernementales chargées du soutien agricole, de promouvoir la sécurité des agriculteurs et de leurs communautés, et d’investir dans des projets durables qui renforcent la résilience et l’autonomie des agriculteurs. De plus, il est crucial d’impliquer activement la société civile, la diaspora haïtienne, et les organisations internationales dans ces efforts, afin de construire un avenir plus prometteur et plus prospère pour l’agriculture haïtienne.

IMG 20231019 WA0007 Au Cœur de la Crise : Réflexions sur l'Agriculture et l'Emploi en Haïti.

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